Me réveillant tout à coup je regardais la montre à mon poignet, me rendant compte que j'avais dormi deux bonnes heures et non quelques minutes comme je le pensais. À peine avais-je rejoint ce lit tout confortable que mes yeux s'étaient fermés d'eux mêmes et le sommeil m'avait emporté. C'est donc avec une bonne sieste matinale que je commençais mes deux mois de vacances sur un ferry. Quoi de mieux? Après tout, vacances signifiait grasse matinée non? Je finis tout de même par me redresser et m'étirais en baillant avant de quitter le lit et commencer à défaire mes affaires. J'avais emporté deux valises et un sac à dos. Bah oui, deux mois ce n'était pas rien. Et puisque j'étais une fille.. J'étais persuadé que certaines avaient bien plus exagéré que moi !

Après avoir défait mes valises je poussais la porte pour sortir à l'extérieur et je me retrouvais enfin à l'air libre. Il n'était que midi, et il était temps d'aller manger tout en m'informant sur le programme. Qu'allait-on faire? Où irait-on? Comment s'occuper? Je rejoignis le restaurant comme me l'indiqua un type que je questionnais, choisi au hasard parmi ceux que je croisais. Bon je devais avouer que j'étais plutôt impressionnée mais je ne le montrais pas. Je m'installais à une table et le déjeuner fut vite engloutit, après quoi je repassais dans ma chambre avant de m'allonger à nouveau sur le lit mais quelques minutes plus tard j'entendis une voix dans les hauts parleurs, des informations à propos d'une soirée organisée pour que nous puissions nous "plonger dans le bain". Très intéressant.

Après m'être promenée à peu près partout et avoir presque tout visité j'avais décidé d'aller me préparer pour la soirée, et le soleil était déjà couché lorsque j'arrivais bien après que ça ait commencé. Il y avait de la musique, de l'alcool et de quoi se remplir le ventre. Tout ça sur un bateau chic. Quoi demander de mieux? Je n'aurais jamais penser me retrouver dans un tel endroit. C'était vraiment parfait. Pour le moment du moins. Je m'emparais d'un verre de champagne et le finit en quelques gorgées avant de le reposer sur le plateau et de faire un sourire mielleux au bonhomme qui le tenait. Maintenant il fallait trouver un moyen de me divertir.

Cette croisière était certainement la meilleure chose qu’il ne me soit jamais arrivé. Alors pourquoi était-ce aussi difficile à accepter ? J’avais la désagréable sensation de trahir mes proches. Ce sentiment tortueux d’abandonner mes compagnons soldats du feu qui continueraient à risquer leur vie au quotidien pendant que je me prélasserai au bord de la piscine, au large de l’océan indien, atlantique, ou que sais-je encore. L’impression d’avoir laissé ma jeune sœur derrière moi, toute seule à New-York alors que nous ne pouvions passer quelques heures sans s’envoyer des dizaines de messages. Est-ce qu’il y aurait du réseau à quelques centaines ou milliers de kilomètres des côtes civilisées ? J’étais accroc au boulot, à cette adrénaline qui me happait avant chaque intervention. J’aimais ce sentiment de danger mais plus encore, j’aimais savoir que j’œuvrais pour le bien de victimes innocentes. Ca apportait un but, une finalité à ma vie, à mes journées au quotidien. Je me levais chaque matin avec la conviction que j’allais faire la différence. Me battre pour un combat qui en valait tous les efforts. Qu’allais-je penser au réveil durant les deux prochains mois ?

Fini de ressasser ces pensées vaines et idiotes, Jess ‘, il faut te ressaisir. Mes maigres encouragements s’accompagnaient des dernières paroles de mes proches. Un savoureux mélange de « profite en », « amuse toi », « tu l’as mérité », « c’est une chance unique », « prends des photos… des nanas hein, pas des paysages ». Ouais quelque chose dans ce genre-là… Pour sûr, c’était une chance unique. Alors j’avais deux solutions : gâcher ces vacances de rêve à me morfondre alors que des milliers, peut-être même des millions de personnes rêveraient d’être à ma place, ou en profiter. M’amuser. Oublier l’espace de quelques semaines mes épreuves quotidiennes pour me ressourcer. Je me l’étais promis, j’avais gâché mes jeunes années à tenter de m’accrocher à des couples désespérés. J’avais mis de côté bien des amis, et la plupart de mes loisirs pour me consacrer à mon travail et à mes relations amoureuses. Tout ça pour rien. Encore et encore, l’histoire se répétait inlassablement. Aujourd’hui c’était fini. Depuis plusieurs mois c’était fini. Je goûtais aux joies de la débauche et je m’en portais à ravir. Rien de mieux pour évacuer toute la pression de mes journées bien remplies. Ces vacances pouvaient être la meilleure des thérapies. C’est décidé, je comptais bien en profiter !

C’est dans cet état d’esprit que j’évoluais parmi la foule des convives, lors de la soirée d’ouverture de notre belle croisière. Depuis plusieurs heures, la soirée battait son plein au milieu du navire et je me sentais dans mon élément au milieu de tous ces gens que je n’avais jamais rencontré, plaisantant sans complexe avec quelques inconnus lorsque l’occasion s’y prêtait, échangeant quelques sourires et regards aguicheurs avec les demoiselles que je croisais. J’avais revêtis la chemise que ma sœur m’avait offert, noire, la coupe parfaite, moulante à souhait ; c’en était presque indécent mais je n’étais pas connu pour ma pudeur. Personne ne savait mieux m’habiller que ma cadette adorée.

La nuit était déjà bien avancée lorsque je quittai une table à laquelle je m’étais attardé pour déambuler à nouveau parmi les invités. C’est au détour d’une rangée qu’elle attira mon attention. Elle devait avoir approximativement mon âge, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins mais ce n’était pas ce qui m’avait frappé. Elle était d’une beauté sauvage, et pourtant d’une élégance sans pareil. Un charme magnétique qui ne m’avait pas laissé indifférent, pour faire simple j’avais envie de l’aborder, de la rencontrer et qui sait ce qu’il pourrait se passer…  Je n’étais pas du genre à me questionner durant des heures sur ce genre de sujet. Je préférais agir. Alors qu’elle déposait sa coupe vide sur le plateau d’un serveur, j’en saisissais deux nouvelles et lui en tendait une avec un sourire charmeur :

- Je peux t’en offrir une autre ?

Ma première journée à bord de ce bateau touchait à sa fin avec cette soirée. Du moins c'est ce que je me dis en reposant le verre. Sans me douter qu'au fait, ce n'était probablement que le début encore de cette soirée. Un inconnu s'empara de deux verres au même moment pour m'en proposer un ensuite. Je croisais son regard sombre et souris à ses paroles en acceptant le verre qu'il me tendait. Après tout n'étais-je pas venue pour m'amuser? Pour passer des "moments inoubliables"? Ce n'est pas en restant seule dans mon coin que j'y parviendrais. « Merci. Je suis Alex. » Je lui adressais un petit sourire. Le jeune homme probablement du même âge que moi, du moins pas trop vieux était d'une taille haute, et malgré mes talons j'étais obligée de relever quelque peu la tête. Il était vêtu de noir, tout à fait à mon goût, mais peu importe ce qu'il portait je ne doutais pas qu'il aurait été tout aussi séduisant. Sous sa chemise moulante à souhait je devinais un corps bien bâtit de quelqu'un qui s'entretient. Je me demandais ce qu'il faisait dans la ville pour ressembler à ça. Était-ce un gosse de riche et fils à papa ? Peu importe. Je voyais dans ces yeux brillants cette lueur qui ne m'était pas inconnue, il était intéressé et moi aussi.

Ma vie jusqu'à ici était assez monotone. À vrai dire depuis que j'avais fugué pour partir loin de mes parents alcooliques j'avais du m'en sortir seule et j'avais beaucoup sué pour ce faire. Donc forcément à côté de mon job qui me prenait la tête, j'avais besoin de me changer les idées si bien que j'étais la plupart de mon temps libre dans l'une des boites de la ville ou déjà avec un type dont je ne connaissais parfois même pas le nom et que ne cherchais pas â revoir. Mais sur ce bateau en deux mois on avait le temps de connaître du monde et forcément on allait tous se recroiser de temps en temps, on étais pas plus de quelques centaines de personnes. Dans tous les cas, ce type devant moi me plaisait assez pour me donner envie de le revoir une prochaine fois. Il y avait quelque chose en lui... Je trinquais avec lui sans trop y accorder une importance et vidais mon deuxième verre. J'étais habituée à bien plus fort comme alcool, ce n'est pas deux verres de champagne qui allaient me saouler.

Ma belle inconnue se présenta et je pouvais enfin mettre un nom sur ce joli minois : Alex. Je lui rendis son sourire, ce même sourire enjôleur qui ne me quittait que rarement. Je devinais dans son regard une étincelle de malice et un désir non dissimulé. OK, mes doutes et mes réticences étaient bien loin en cet instant, balayés, oubliés. Ces vacances promettaient d’être les meilleures de ma vie. J’observais ma nouvelle rencontre sans retenue ; à vrai dire ce mot n’apparaissait même pas dans mon vocabulaire. Je trinquais avec elle en lui répondant :

- Jess’ , enchanté.

Déjà, la dénommée Alex vidait sa coupe d’une traite et je l’imitais, amusé. Les amoureux du champagne nous auraient flagellés ; au diable les siroteurs de la noble boisson, j’avais d’autres préférences et habitudes. Et je n’étais apparemment pas le seul. Armé d’un sourire complice, je lui attrapais délicatement le bras pour l’encourager à me suivre. « Viens », lui dis-je en l’entrainant en direction du bar auquel je m’accoudais.

- Deux margaritas, annonçais-je à l’attention du barman, accompagnant mes paroles d’un geste de la main.

Un peu de tequila n’avait jamais fait de mal à personne. A vrai dire, ça se rapprochait déjà un peu plus de mes soirées habituelles, et ce n’était pas pour me déplaire. Je guettais sa réaction, essayant de deviner sur son visage charmeur si j’avais eu raison de l’attirer loin des serveurs pompeux, vers un véritable petit paradis des cocktails. Détrompez-vous, je ne cherchais pas un prétexte pour la dévisager avec plus de subtilité… Ce n’était pas-du-tout mon genre. Pour tout avouer, j’avais beaucoup de mal à me détacher de son regard émeraude ensorcelant, et je ne vous parle même pas du reste de ses charmes… Quoi qu’il en soit, je n’étais pas facile à déstabiliser. Mon métier m’avait forgé un mental d’acier doublé d’un sang-froid à toute épreuve. J’étais maître de moi-même en toute situation, il en fallait plus pour me désarmer.

Nos boissons servies, je tendais mon verre dans sa direction pour porter un toast : « à une vraie boisson de soirée ». J’en bus une première gorgée, mes papilles frémissant au contact des indémodables grains de sel qui accompagnaient ce classique des comptoirs. Hmmm, c’était nettement mieux. J’aimais le champagne et savais l’apprécier à sa juste valeur mais j’avais ce soir envie d’autre chose. De quelque chose de plus exotique. Mais avant tout j’étais curieux. Curieux d’apprendre à connaître ma divine rencontre et de découvrir jusqu’où cette nuit pourrait m’amener. Le reste n’avait pas grande importance.

- Alors, qu’est-ce que tu faisais dans la vie avant de monter sur ce bateau, Alex ?

J’observais non sans un brin d’intérêt la jolie demoiselle vider ce qu’elle venait de qualifier de « jus de fruit ».

- Ouch, touché… Confessai-je avec un demi-sourire. Tu préférais le champagne ? enchaînai-je pour la taquiner à mon tour.

Je me joignais mon rire au sien en détaillant sa robe d’un coup d’œil discret. Pas fait exprès, ça m’avait échappé… Je bus une nouvelle gorgée d’alcool, distrait, en écoutant sa réponse à ma question.  Livreuse, serveuse et fêtarde hein ?

- Si j’avais une livreuse aussi sexy, je mangerais des pizzas tous les soirs.

Je lui offrais un sourire charmeur. Croyez-le ou non mais je le pensais vraiment. Même si ça ne serait probablement pas bon pour ma ligne. Vous savez ce qu’on dit : un mal pour un bien. Et puis nous avions un autre point commun, on aimait s’amuser. Pour moi cette croisière avait des airs de terrain de jeu et je me plaisais à songer que je devais profiter de chaque journée que je passerai sur ce bateau. Je m’interdisais tout regret une fois le pied à terre à la maison.

Ma compagne de soirée me rétorqua ma propre question, se demandant si mon quotidien était plus pimenté que le sien. Je fis mine de réfléchir en m’étirant la nuque.

- Plus ou moins, ça dépend des jours… Je suis pompier. Et le reste du temps je fais la fête…

Je riais à mon tour, un peu bêtement je vous l’accorde. La plupart des gens associaient souvent mon travail au courage ou aux catastrophes, en oubliant presque que je n’étais qu’un jeune homme comme un autre. Navré de vous décevoir, il n’y a rien de magique ou de surhumain, simplement une tonne de pression à relâcher ; d’où la fête, vous suivez ? Je finissais mon verre que je repoussais sur le comptoir et je tournais le dos à un groupe de vacancier pour faire entièrement face à la dénommée Alex. Je ne pouvais rêver meilleure compagnie pour la soirée et je le lui laissais deviner :

- Il faudra que tu me donnes l’adresse de ton établissement, je crois que je vais devenir accro aux pizzas et au café.

Mon on verre vide, je le reposais sur le comptoir et posais les yeux vers mon compagnon de soirée. Il avait l'air de très bonne humeur ce qui influençait la mienne. Je voyais dans sa façon de regarder que tous les deux nous avions de bonnes idées sur comment finir cette soirée bien joliment. J'avais le sentiment que nous nous ressemblions beaucoup, peut-être surtout car nous étions tous les deux des fêtards. Lorsqu'il me dit qu'il était pompier je fus un peu surprise, ne m'y attendant pas vraiment. Mais c'est vrai qu'on croisait de tout. Pourquoi pas un pompier. Je m'approchais de lui alors qu'il venait de se tourner complètement face à moi et me penchais à son oreille pour lui murmurer quelques mots. « J'imagine que tu as de jolies tablettes à me montrer la dessous alors..?»

Et ce disant je passais doucement un doigt sur son t-shirt. Ses paroles me firent sourire et c'est un regard malicieux que je plantais dans le sien en lui répondant. « Es-tu sûr que ce n'est plutôt pas à autre chose que tu vas devenir accro? Je peux te donner une adresse bien plus intéressante, celle de ma cabine..» Je m'éloignais alors de lui pour me rasseoir correctement près du comptoir et commander une vodka. Des coups d'un soir j'en avais eu plusieurs, mais je n'étais pas non plus le genre de fille à ne chercher que ça. Malgré tout ce soir là sur ce bateau avec cet homme, je ne voulais pas passer à côté de ce qui pourrait être une soirée haute en couleurs. Et si ça se passait bien, pourquoi ne pas devenir de très proches amis..?